"L'hospitalité, expérience spirituelle" par le Père Etienne Grieu, sj

04/10/2017

Conférence donnée le Mardi 3 octobre 2017 à la Conférence des Evêques de France pour la Journée "Sous le même toit, les chrétiens dans l'habitat partagé"

L'hospitalité, expérience spirituelle

Quel type d'expérience fait faire l'habitat partagé avec des personnes très différentes, dont j'aurais mille raisons de me tenir à distance ? Peut-on y reconnaître une expérience spirituelle qui, peut-être même, aurait des choses à dire à la société sur nos manières de vivre ensemble, par exemple ? Voilà la question que je vous propose d'aborder. Je le ferai tout simplement, en commentant ce que des personnes qui ont fait de telles expériences m'ont raconté (il s'agit de bénévoles à l'APA et à Valgiros ; je les ai interviewés durant l'été 2016).      

1- L'accueilli n'est pas toujours celui qu'on croyait

Pour décrire cette expérience spirituelle, j'ai choisi comme titre « l'accueilli n'est pas toujours celui qu'on croyait » et l'on peut prendre cette phrase en des sens différents. Mais je vous les laisse découvrir au fil de la lecture...

a) La liberté d'être soi

Les personnes que j'ai interrogées la décrivent l'expérience qu'ils ont vécue (ou vivent) dans leur habitat partagé comme quelque chose d'assez simple, ni compliquée, ni héroïque. Quelque chose, en somme, à la portée de beaucoup. La seule chose demandée, finalement, c'est une disposition à la bienveillance ; on pourrait dire, une suspension du jugement, tant qu'on n'a pas compris ce que l'autre dit ou bien ce qu'il exprime par ses réactions.

Voici ce qu'en dit Baudoin :

« C'est un lieu où chacun peut apprendre à être lui-même. On essaie de créer un climat de bienveillance, d'écoute, d'ouverture qui fait que l'on peut se dévoiler (…). Chacun avancera à son rythme. On voit des personnes qui petit à petit se disent plus facilement, pour qui c'est plus naturel ».

Cette bienveillance est une attitude qui nous aide tous, bien entendu à entrer en relation ; mais il est tout à fait possible que la présence de personnes que l'on sait plus fragiles, incite fortement à nous y ramener. Pourquoi ? On pourrait dire : parce qu'on fait plus attention ; on n'oublie pas de faire attention, alors qu'on peut oublier quand on a affaire à des personnes bien portantes.

Ici, un deuxième trait apparaît chez la plupart ; c'est que cette colocation est également un espace de liberté. Voilà par exemple ce que dit Baudouin – encore – lorsqu'il répond à ma question : « comment comprendrais-tu le fait que tu te sois senti très vite chez toi à l'APA ? » :

« C'est les personnes. C'est cette impression bien réelle de liberté. En fait, on donne vraiment ce qu'on veut, ce qu'on sent... et en même temps, cette dynamique de vie collective ; et le temps passé avec des personnes qui ont beaucoup de spontanéité, qui disent les choses directement, où les choses sont à la fois simples et vont parfois assez vite à l'essentiel ».

La liberté dont il est question, me semble-t-il, c'est d'abord la liberté de parler, de se livrer, pourrait-on dire. On peut y voir un effet direct du climat de bienveillance dont il était question à l'instant : chacun peut être lui-même, parce que les regards ne sont pas jugeants ni les attentes écrasantes. Mais, dans les propos de Baudouin, un deuxième facteur entre en jeu : les colocataires sont des « personnes qui ont beaucoup de spontanéité », sans doute aussi du fait de l'expérience de la galère. Avec elles, comme le dit Baudouin, on va assez vite à l'essentiel. Une autre bénévole, Pascale, de Valgiros, évoluant dans des milieux littéraires, disait également, avec un brin d'humour : on peut laisser notre kalachnikov au vestiaire, parce qu'avec ces personnes, on n'est pas dans des rapports de comparaison ou de rivalité.

En même temps, ces relations qui permettent à chacun de se risquer aux autres, ont aussi un caractère éprouvant. La même bénévole de Valgiros le formulait ainsi :

« Il y a un petit peu un mensonge à dire : ''on habite sous le même toit, on est dans les mêmes choses, comme si l'on était les mêmes'', car on n'est quand même pas les mêmes, même s'il y a une entente – c'est cela qui est terrible –, même s'il y a une vraie amitié, on n'est quand même pas... voilà... Et ça c'est un peu... »

L'apparition des points de suspension vers la fin du paragraphe indique un certain embarras. Ce qui est certain, c'est que, bien que vivant sous le même toit, on n'est pas les mêmes. Et ici je crois qu'il faut l'entendre au sens fort : un abîme, souvent, sépare les uns des autres. Une différence si grande qu'on ne trouve pas de mots pour en parler. Et cet abîme, l'amitié ne le comble pas.

b) Un jeu d'adresses et d'appels

Plusieurs personnes interrogées ont employé le terme « d'apprivoisement » pour parler des relations à l'intérieur de la colocation, en se référant parfois explicitement à l'épisode de la rencontre entre le renard et le petit prince, dans le livre de Saint-Exupéry[1]. Le terme dit bien, même s'il a ses limites, une attention à l'autre en même temps que le respect d'une certaine distance qui ne peut s'abolir de façon forcée. Il dit aussi que la relation est appréhendée dans une histoire qui va vers quelque chose d'heureux et de fort.

François dit cela d'une certaine manière aussi quand il déclare :

« Du côté des personnes accueillies, il y a parfois des fragilités psychologiques et affectives profondes que nous ne sommes pas à même ne serait-ce que de déceler. Là, il y a un suivi psychologique et social. Et nous, on ne peut pas faire grand chose (…). Nous ce qu'on peut faire, c'est l'accueillir en bienveillance et lui dire ''on sait que tu es en fragilité, tu nous le dis ; on est très heureux d'être en communauté avec toi et on t'accueille tel que tu es''. Et rien que de dire cela, en fait, c'est ce qu'il veut entendre. Ce n'est pas beaucoup plus compliqué que cela. En fait, c'est traduire notre disponibilité en gestes, en paroles, en présence. Parfois je n'y arrive plus, mais d'autres alors prennent le relais. »

Je crois qu'on peut même prolonger ce que dit François en disant que la justesse de relation passe par le renoncement à guérir l'autre. Par le fait d'admettre qu'''on ne peut pas grand chose'', et de reporter l'effort essentiellement du côté de l'accueil, de la bienveillance. Benoît, un autre bénévole de l'APA, le raconte à partir de ce qu'il a découvert en arrivant dans la colocation :

« J'étais venu pour garder un contact avec la réalité, et j'étais venu pour servir. Et la première chose qui m'a marqué au bout de deux semaines, c'était l'impression de ne servir à rien. Et un jour, on a eu un temps de partage et j'ai osé leur dire, à ma coloc, et [rire] ça les a fait marrer. ''Mais tu t'imaginais que tu allais servir à quoi ?'' Des gens de 60 ans, qui sont passés par la rue, qui ont une expérience de la vie beaucoup plus... Peut-être que ce à quoi l'on sert, ponctuellement, c'est de maintenir un cadre qui soit agréable pour tous (nettoyage, gestion du frigo, etc...). ça suppose une petite discipline. Cette discipline c'est aussi une façon de se fréquenter, de ne pas vivre indifférents les uns par rapport aux autres ».

L'expression « servir à rien », dit de manière plus crue la même réalité : elle dit un renoncement, un peu difficile sans doute – peut-être s'agit-il en somme d'un deuil –, à transformer la réalité de l'autre, à avoir une influence sur celle-ci. Le seul service possible concerne le cadre de la vie en commun, autrement dit l'espace et les objets qui sont entre nous, et qui peuvent, selon la manière dont ils sont tenus, ordonnés, etc. porter et refléter plus ou moins fortement cet accueil de l'autre. 

Cela dit, pour être tout à fait juste, la bienveillance envers chacun n'est pas non plus une manière de dire à l'autre : ''tu es comme tu veux, ça nous est égal''. Non, car je crois qu'il s'agit en réalité aussi d'un appel, un appel adressé à l'autre, comme pour lui dire : ''tu peux être toi même, ici ; n'aie pas peur''. Mais c'est un appel très subtil, car il ne doit faire entendre aucune injonction, mais au contraire, être placé entièrement sous le signe de la liberté de l'autre. Voici une petite anecdote rapportée par Armand (bénévole à Valgiros) qui dit cela très bien :

« Francis n'allait pas bien du tout et pour plusieurs raisons. Durant les six premiers mois où je commençais à Valgiros, il était tout le temps enfermé dans sa chambre. Je le voyais très peu. Je pourrais dire que ne le connaissais pas, en fait. Et puis un jour, il allait mieux, on est allé ensemble faire une course ; et il m'a dit : ''je voulais vous remercier. Merci parce que depuis six mois, Philippe et toi, vous venez tous les soirs frapper à ma porte pour me demander si je vais venir manger''. Pour lui, c'était un truc de dingue, le fait qu'il soit attendu. Ça je pense, c'est le projet de Valgiros, quand les gens finissent par comprendre qu'il sont attendus, qu'ils ont une vraie valeur. Ça fait écho pour moi à cette fameuse phrase : ''tu as du prix à mes yeux et je t'aime''. Pour moi, c'est vraiment de cet ordre là, même si l'on ne peut pas le dire comme ça. » 

Il y a donc une manière de signifier à l'autre qu'il est attendu, non pour obtenir de lui tel ou tel résultat mais simplement, lui, tel qu'il est. Ici, le signe est repérable, il consiste à aller frapper à la porte de quelqu'un ; mais la plupart des signes que l'on faits n'ont pas cette netteté si bien que les appels que nous nous adressons les uns aux autres se situent, la plupart du temps, dans le registre de l'à peine perceptible. Ce sont des signes qui seront relevés par l'autre s'il le veut, et sans qu'on puisse dire clairement « je t'ai fait signe ». Je crois que c'est là une manière de respecter vraiment la liberté de l'autre : celui-ci peut ne pas même voir qu'un signe lui a été fait.

Quoi qu'il en soit, je crois que ce phénomène d'appel est fondamental et qu'il n'y a pas de sujet qui puisse venir au monde sans y être appelé de cette manière-là. Et vous voyez qu'ici on touche une question très délicate : seuls des acteurs, des êtres libres sont capables de faire entendre quelque chose de cet ordre, qui ne peut en aucun cas s'opérer en service commandé ni se réduire à une fonction : seul un sujet libre peut appeler un autre sujet à la liberté d'advenir à lui-même. Cependant, on peut se demander à quoi pouvons-nous nous rendre attentifs, dans notre manière de nous organiser pour vivre ensemble, pour que ce genre d'appel puisse être formulé et entendu et qu'il ne soit pas étouffé mais qu'au contraire, il ait une chance de faire son chemin et de trouver ses destinataires ? C'est une question fondamentale pour une société ; car si par malheur nous perdions cette aptitude à appeler des fils, des filles, des frères, des sœurs, des proches et des lointains, c'en serait fini de l'aventure humaine.

Deuxième remarque au sujet de cet extrait : Armand met cette attitude d'appel en écho avec une phrase de la bible, une citation d'Isaïe (43,4), dans laquelle Dieu s'adresse à son peuple pour dire le type de relation qu'il vit avec lui. En fait, il s'agit de l'alliance. C'est en se référant à l'alliance biblique – un type de rapport quand même bien particulier – qu'Armand trouve de quoi expliciter son attitude.

Dernier point sur cette même question. Cette manière discrète d'appeler l'autre à la liberté d'être soi peut amener à vivre des choses vraiment éprouvantes, notamment quand celui-ci ne semble pas pouvoir ou vouloir sortir de logiques qui le détruisent. Pascale le dit ainsi :

« Une expérience compliquée, c'est quand on est face à des gens qui travaillent contre eux-mêmes avec une persistance qui est parfois décourageante. Voilà. Ça c'est vraiment très dur, de voir des gens qui avancent, qui reculent, qui avancent, qui reculent (…). C'est vrai que ça nous ébranle sur notre tolérance à la liberté qu'a l'autre de se détruire. C'est là que j'ai pu avoir des mésententes avec des gens de l'équipe. Je ne me réjouis évidemment pas quand des gens se détruisent, mais il y a une part de liberté et je ne sais pas dans quelle mesure on doit vouloir tout le temps contre l'autre. C'est très compliqué, ça pose de vraies questions... »

L'attitude d'appel dont je parlais ne consiste pas, on en a ici un autre exemple, à se substituer à l'autre ; elle fait seulement entendre quelque chose comme un « si tu veux » et, cela, avant tout par l'engagement d'une présence à l'autre. Et quand l'autre ne sort pas des cercles qui l'entraînent vers la mort, c'est évidemment très douloureux.             

c) La reconnaissance tranquille des limites et fermetures

Quels sont les fruits de ces expérience de convivialité ? Il y aurait ici beaucoup de choses à dire. Je vous propose un seul point. Presque toutes les personnes interrogées signalent que l'expérience les a fait bouger à la fois sur le regard porté sur les autres (on devient beaucoup plus bienveillant), et sur elles-mêmes : la vie avec d'autres personnes, notamment quand elles sont blessées, peut aider à reconnaître et accepter ses propres limites et faiblesses. François l'exprime ainsi :

« On peut se rendre compte qu'on a des fermetures et qu'on n'est pas prêt à ouvrir, qu'on n'est pas prêt à tout donner, à tout sacrifier. Si on est dans le détachement complet, c'est génial ; au fur et à mesure qu'on voit les choses arriver, on les offre. Mais bon c'est facile à dire. Admettre qu'en soi on a des fermetures (plus que des fragilités, car ça, ça dépend des gens), c'est peut-être ce qu'il y a de plus difficile. Certains considèrent que s'ils se protègent, ils ne vont pas tout donner et donc, que ce sera faux. Et là, on nous explique clairement que se respecter soi-même et se protéger, c'est aussi avoir un rapport sain à l'autre. »

François, avec beaucoup de finesse, distingue entre fragilités et fermetures. Je comprends ses propos au sens où les fragilités sont pour nous comme des traits de tempérament, elles viennent de notre histoire et l'on n'y peut pas grand chose. Les fermetures, en revanche, sont davantage liées à notre liberté. Je devrais donc pouvoir plus facilement, en principe, devenir moins fermé (alors que j'ai beaucoup moins de prise sur mes fragilités). Or, François reconnaît qu'il n'est pas facile non plus de lever ces fermetures. Vivre avec d'autres peut m'amener à reconnaître que je reste, bien malgré moi, largement en deçà de l'idéal éthique que je pensais pouvoir vivre. Quand cela advient dans un climat de bienveillance, on peut admettre lucidement et tranquillement que l'on reste fermé, et qu'on ne peut passer par-dessus en forçant. L'accueil des autres me permet de m'accueillir moi-même, ou plutôt, d'accueillir en moi ce qui reste fermé et que je n'ai, en général, pas du tout envie de reconnaître. Autrement dit, l'hospitalité de l'autre me permet d'accepter ma propre inhospitalité, laquelle joue aussi vis-à-vis de moi-même. Traduit en termes théologiques : je ne peux me disposer tout entier aux autres et à Dieu, par mes seules forces. Pour vivre cette ouverture sans reste, qui demeure malgré tout comme une promesse qui oriente notre existence, j'ai besoin d'un autre qui m'y conduise (en termes théologique, il faudrait sans doute ici avancer le mot de salut). 

En tout cas, ce qui est très important, c'est ce travail de reconnaissance tranquille de ces fermetures ; tant que celles-ci ne sont pas reconnues, elles œuvrent en secret et poussent à mettre en avant des tas de raison pour ne pas accueillir, qui sont en général fausses ; mais, les ayant reconnues, on peut les travailler, notamment en distinguant d'une part, ce qui est de l'ordre du fantasme, de la peur, qui peuvent plus facilement être levés (en général, la rencontre avec l'autre suffit à dissiper la peur) et d'autre part, ce qui relève de fermetures plus profondes, sur lesquelles on a moins de prise.

2- De l'expérience spirituelle à la vie sociale et ecclésiale

Tout cela, l'air de rien met au travail nos représentations de la vie ensemble. On se représente parfois l'espace de nos relations comme un espace neutre, en fait, un vide dans lequel des acteurs vont pouvoir se risquer, se révéler, se montrer aux yeux des autres. L'espace de nos relations, dans cette perspective, est un peu comme une piste de danse : un espace vide qui autorise nos mouvements.

Il me semble qu'à travers les initiatives dont il a été question, une autre vision de l'espace est promue qui se refuse à voir celui-ci comme un terrain neutre, c'est-à-dire inerte et silencieux, destiné seulement à être le cadre de nos gestes et paroles. Car une telle vision suppose que les acteurs interviennent en étant tout équipés de discours et de capacités. Qu'en est-il alors de ceux dont les gestes ou les expressions ne sont pas ajustés à ce qui se pratique habituellement ? Eh bien, c'est tant pis pour eux et ils risquent fort de n'être pas du tout pris en compte.

Les initiatives dont j'ai rendu compte voient autrement l'espace des relations : c'est un espace organisé par une loi qui a pour objectif d'interdire que les uns disparaissent aux yeux des autres. Et c'est un espace qui, de mille manières, fait entendre un appel – qui passe nécessairement par la liberté et l'engagement de ceux qui habitent cet espace. Un appel qui, à chacun, dit quelque chose comme : « on compte sur toi, tu ne nous as pas tout montré de toi, on t'attend ». Ici, la métaphore pour penser un tel espace relationnel, ce n'est pas la piste de danse, mais la danse elle-même, notamment ces danses collectives qui invitent chacun à entrer dans le jeu[2]. Il y a là, sans doute, une manière de penser la vie ensemble ainsi que l'espace public.

A travers l'habitat partagé, on voit pointer un mode d'agir particulier, qui ouvre des lieux de vie où personne ne peut être donneur de leçon mais où chacun est déplacé, amené, avec douceur, à se reconnaître un parmi d'autres, un qui se reçoit des autres. Ce sont des lieux qui, ce faisant, soulignent que la vie ensemble est précieuse, fragile, qu'il vaut la peine d'en prendre soin et qu'au final, cela se reçoit et peut se partager.

Il s'agit donc de contributions très importantes, une vraie proposition de sens, mais qui ne se présentent pas d'abord sous forme de convictions à défendre ou à promouvoir. J'y vois une manière très juste pour les Églises d'apporter leur contribution à la vie ensemble, par des gestes, des attitudes, des projets, qui symbolisent des possibles encore peu explorés, et qui, du coup, peuvent faire signe, peuvent faire l'effet de promesses pour beaucoup sans que personne ne se sente agressé ou jugé.

Je crois qu'en soutenant ce genre d'expérience les Églises font signe, plus que par des discours et des déclarations (encore que celles-ci soient indispensables, bien entendu ; mais on ne peut se reposer uniquement sur elles).

Conclusion

Quand des personnes se risquent à vivre avec d'autres qui, dans un autre contexte, pourraient faire peur, quand elles s'accueillent mutuellement dans une certaine durée, alors, elles donnent à entendre que la vie se reçoit de ces échanges dans lesquels nous nous découvrons en genèse. De manière non programmée, quelque chose se passe qui permet à chacun d'accueillir l'inconnu qu'est l'autre et dans le même mouvement, l'inconnu qu'il est encore à lui-même. Ce qui est rendu sensible, c'est la puissance d'un appel qui passe par chacun mais nous dépasse tous. Le croyant peut y reconnaître l’œuvre de Dieu. Il peut même alors partager quelque chose de ce don de Dieu sans se mettre pour autant dans la position du propriétaire. On pourrait dire : Dieu lui échappe (de même que l'on dit, dans une conversation : « excusez moi, ça m'a échappé ! »). Eh bien l'hospitalité est sans doute aujourd'hui une des meilleures manières de laisser Dieu nous échapper.

Etienne Grieu sj

Facultés Jésuites de Paris – Centre Sèvres

Retrouvez une intervention plus complète du Père Grieu sur "K'hospitalité, forme d'engagement social" sur le site de la Fondation Jean Rodhain.

 

[1]    Une personne en revanche, a exprimé des réserves par rapport à cette métaphore, la trouvant déplacée (elle concerne le monde animal, et puis l'apprivoisement ne débouche pas – sauf dans Le Petit prince – sur une relation à parité).

[2]    On pourrait rapprocher cette image de ce que dit Hannah Arendt de l'agir humain comme jeu d'adresses entre les humains qui déploie un médium d'où pourra naître une histoire. Cf. Condition de l'homme moderne, « Le réseau des relations et des histoires jouées », Calmann-Lévy, Paris 1983 (éd. or. 1958), p. 204-211.

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